lundi 6 février 2017

De certaines façons de mourir…

La radio allumée, le soleil du Mexique s’éteint. Les ondes diffusent une radionovela vénézuélienne. De piètre qualité mais surtout bon marché du genre à casser les prix, au grand désespoir de mon ami, voix célèbre sur les ondes radiophoniques depuis plus de vingt ans en compagnie de la belle et grosse Guadalupe Frejas. Il s’est spécialisé dans les rôles de méchant, une voix qui fait peur tout en émoustillant les jeunes vierges et les grosses dindes mexicaines. Mais… Maintenant qui voudrait de lui, si les vénézuéliens lui piquent son boulot. Même pas les publicitaires, une voix de violeur d’enfants ou d’égorgeur de femmes fragiles ne fait pas vendre.   

« - Je n’ai pas voulu vous offensez.
- Ne vous inquiétez pas. Vous, vous n’offensez qu’avec votre langue.
- La langue est plus puissante que l’épée.
Il écarta un peu sa veste et je vis une masse sombre.
- On a inventé des choses plus efficaces. Colt .357 Magnum. Vous connaissez ?
- Non.
- Vous avez de la chance. Ils sont pires que le tabac ; une fois qu’on les a utilisés on ne peut plus vivre sans. Comme les femmes… »

Justement, le Chauve, au crane aussi exécrable que sa physionomie, lui donne la carte de visite d’un de ses amis. Un boulot bien payé, parait-il. 5000 dollars tout de suite, 10000 après le boulot. Une telle somme laisse à réfléchir. Y a de quoi tuer un homme pour ce prix-là. Et si c’était vraiment ça le contrat ? Est-ce qu’une voix peut tuer ? Dans le genre assassinat politique. Au Mexique, tout est possible, même le roman noir salvadorien, Rafael Manjivar Ochoa, écrivain exilé.


La paranoïa nous guette, les politiciens nous cachent certaines vérités, et notre acteur de théâtre de seconde scène, fauché et amoureux de la gironde Guadalupe fauchée elle par la mort, le laissant ainsi seul avec ses désillusions, semble bien mal barré dans un univers où il maîtrise parfaitement les codes. Presque un parfait loser qui n’attend plus grand-chose de la vie et qui se laissera guidé juste par sa tristesse et son désenchantement pour une putain de vie. Vingt ans de service à faire croire aux auditeurs qu’il est un affreux méchant, une sale gueule, un peu pourri, tendance cynique et totalement désabusé, il se fond au milieu des services secrets plus ou moins officiels, corrompus et manipulateurs, comme du sel dans une gorgée de Tequila. Caramba.  

« Pas un taxi, pas une âme. Tout le monde avait dû se réfugier dans la salle de bain.Je me mis à courir, et je courus tellement que mon souffle me râpait la gorge. Je continuais de courir jusqu’à voir des lumières blanches danser autour de moi comme des stars obscènes. Je courus tant et plus et la peur devenait de plus en plus blessante. Mais l’épée était trop grande et si je tombais je ne pouvais m’échapper, courir ne servirait à rien. Je ne savais pas quelle épée, je ne savais rien si ce n’est qu’elle était immense. Mort, mort, beaucoup de mort. »  

Les obsèques de Miss Frejas eurent lieu. Les milliers de plaintes se sont multipliées. Le roman radiophonique vénézuélien est abandonné en cours de route pour la rediffusion des aventures de Guadalupe. L’honneur de la radio est sauve…



I. Les Années Flétries, Rafael Manjivar Ochoa.

10 commentaires:

  1. Et puis accompagné de la boisson qui va avec, c'est encore mieux… (https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. La boisson joue beaucoup dans l’appréciation du bouquin.

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  2. Dans mon jeune temps, j'ai vu des telenovelas brésiliennes et vu le niveau, je crains le pire concernant les radionovelas vénézuéliennes...

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    1. tu peux craindre... Et ce n'est pas la mort tragique de Guadalupe qui va arranger la qualité des radionovelas...

      tu regardes quoi comme telenovelas brésiliennes ?

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    1. La rareté d'une maison d'édition fait qu'il ne sera pas forcément trouvable partout. Ce premier tome fait partie d'une pentalogie. Pour le moment, j'ai vu que seuls les trois premiers tomes avaient été traduits et édités. Qu'en est-il des deux derniers sachant que l'auteur est mort en 2011...

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  4. Il m'a l'air intéressant cet auteur, je viens de survoler un peu son histoire, réfugié au Nicaragua puis au Costa Rica, plusieurs années au Mexique, travaillant pour l'agence de presse de la guérilla. J'imagine qu'on ressent ses antécédents à travers ses mots?

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    1. Il a une ambiance, mais faut être attentif. On perd vite le fil si on se concentre trop sur sa Corona lime et moins sur ses mots...

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  5. Assassinat ... Politique... Contrat ... Euh je peux passer ? ^^
    En revanche la corona lime je dis pas non ! ;-)

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    1. Une corona lime ? Je t'imaginais plus Ichiban ou alors vin chilien :D

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